Non, je ne pense pas. D’abord, nous ne tâchons pas de “sur-vivre”; je lis de très bons livres, je bois de très bons vins, je parle très haut et je m’amuse beaucoup. Il s’agit de vivre comme nous l’avons déjà fait, mais je ne me vois pas renvoyer à perdre toute dignité en mangeant des scarabées rôtis par mes soins, de crainte de mourir.
Qu’il faille de ré-approprier son corps est une évidence; mais la libidio est une priorité dans le sens où elle est la preuve qu’on l’a récupérér. Et je ne vois rien de plus simple que la chair.
Certes, le traitement nous épuise, mais après l’injection d’ABVD, alors que je me sentais violé, que j’avais une légère nausée, que je me sentais mal, des câlins, des caresses, puis une sérieuse baisade avec ma copine me faisait le plus grand - et à elle aussi, dis-je, coq perché dessus.
La chair est prioritaire; c’est elle qui nous fait défaut aujourd’hui, c’est elle qui se transforme en amas de cellules mortes qui nous tuent; le sexe est une ré-affirmation de la vie, au même titre que ce que nous pouvons produire tandis que nous sommes malades; il s’agit de dire merde à la maladie maintenant, grâce au plaisir, et plus tard, grâce à nos productions.
Mes projets, je ne m’en donne pas, je les tiens; s’ils sont formulés, je les accomplis déjà, je travaille. J’en ai pour dans longtemps, bien sûr, les “j’irai à Rome”, mais ils m’importent peu. Ce que je veux, c’est vivre comme j’ai toujours vécu, et prendre le cancer par les cornes, car le cancer, c’est comme une pinata; de loin, ça a l’air effrayant, de près, ça ressemble à une vague statue faite de papier mâché, et si vous taper bien bien, vous avez plein de cadeau dedans; un goût pour le présent irrépressible, une motivation immense, et d’autres joies qui vous tombent dessus.
Quant au regard des gens, je ne le connais pas. Des gens détournent le regard de moi, comme ils le faisaient déjà, et je les en remercie, car si je devais faire une bataille d’yeux fixes avec tous les passants dont je croise le regard, la vie serait longue. Quant aux gens qui se détournent, c’est leurs vies. Le sain fuit le malsain, nous sommes des êtres malsais; malades, il est tout à fait excusable qu’Untel ait peur de voir un ancien ami - c’est-à-dire que ç’aurait pu être lui même - dans une situation macabre.
Et sérieusement, le cancer, c’est pas plus dur qu’une dissertation d’Histoire de 6 heures sans plan, ni dates, parce qu’on s’est trompé dans les révisions. Ça, c’est une épreuve gigantesque.
Bisous.