Bonjour à toutes et à tous, je viens ici vous faire part de tout mon parcours. Je m’y mets aujourd’hui pour essayer de rendre mon ressenti actuel, sans avoir eu le temps de prendre du recul, ou surtout d’oublier quoi que ce soit. Ceci est mon histoire personnelle, ce qui m’est arrivé et les effets secondaires dépendent de chacun, et je rappelle aux fraîchement diagnostiqués que leur expérience sera probablement différente. Ce message est long, très très très long, car j’ai tenu à ce qu’il rende compte essentiellement de mon ressenti et de mes émotions tout au long du traitement. C’est presque un journal intime, mais “petit roman autobiographique”, ça sonnait vachement mieux.
Il y a un an exactement, je sautais le pas et déménageais définitivement (ou du moins le croyais-je) en Angleterre pour y commencer une licence de droit. Je venais de fêter mes 19ans. Pourtant extravertie, je ne m’étais jamais sentie pleinement intégrée en France, et je découvris dans ma fac anglaise l’ambiance campus, avec des colocataires géniaux qui deviendront une seconde famille, et des études très stimulantes. Pour la première fois de ma vie, je me sentis complètement à ma place. D’ailleurs, je perdis mes quelques kilos en trop, mes cheveux atteignirent une longueur jusqu’alors jamais égalée, et je pris véritablement confiance en moi. J’avais toujours eu un profond mal-être vis-à-vis de mon apparence qui s’estompa progressivement de lui-même. Je me trouvais belle, j’étais heureuse, tout allait (enfin) bien.
Jusqu’au 18 mars 2014. Le jour où le médecin de ma fac me fit passer une radio thoracique d’urgence suite à la persistance d’un ganglion sus-claviculaire à gauche, l’apparition d’un autre à droite, et une prise de sang révélant une inflammation. Cette radio, me rassura-t-il, il me la faisait passer “au cas où”, car je devais rentrer en France pour les vacances quelques jours plus tard. Bien sûr, si j’avais su que les démangeaisons qui me bouffaient la peau depuis quelques mois étaient un symptôme de lymphome et non pas une allergie quelconque, ou que mes accès de fièvre fréquents n’étaient pas toujours dus à mes pauvres compétences de cuisinière et aux intoxications alimentaires, je les aurais mentionnés à ma précédente visite médicale, et j’aurais pu être diagnostiquée en stade I. Mais moi, le mot lymphome, il ne me disait franchement rien du tout, alors ses symptômes…
Toujours est-il qu’après avoir passé cette radio, je rentrais dans ma petite chambre étudiante, et m’apprêtais à faire une courte sieste pour me préparer à affronter la soirée spéciale Gatsby le Magnifique qui avait lieu à notre boîte préférée ce soir-là. Mais, avant d’essayer de m’endormir, je fus prise d’un sentiment étrange, et je passais mon portable de mode silencieux à vibreur (ce que je ne fais absolument jamais), “au cas où on m’appellerait”. Et puis je repensais à l’été 2013, 8 mois plus tôt, où à la suite d’une prise de sang de contrôle montrant une très légère inflammation quelque part dans mon corps et n’ayant absolument rien d’alarmant, je m’étais effondrée en larmes, criant sans raison que j’avais un cancer. Personne ne m’avait cru, on s’était gentiment moqué de moi à ce moment, et j’avoue que je me trouvais moi-même franchement stupide. Surtout que je ne pleurais absolument jamais, pas même aux enterrements, alors j’avais bien honte d’avoir explosé comme ça sur le coup, pour rien. Et puis je repensais à un soir de janvier 2014, où, fumant une dernière cigarette avant d’aller me coucher, avec la voix lancinante de Lana del rey en fond sonore, je m’étais soudainement trouvée en pleine crise d’angoisse, avec le sentiment urgent que ma vie était en danger. Toujours sans raison. Il est vrai que je toussais depuis quelques années, et d’une sale toux, mais quand on fume plus d’un paquet par jour, on ne s’en étonne pas. J’avais prévu d’arrêter le jour de mes 20ans de toute façon. Bref, je m’étais finalement calmée. Mais là, allongée dans mon lit, cherchant le sommeil, je sentais que j’avais eu raison ces fois-là, et que j’étais en danger.
Mon portable se mit à vibrer 5 minutes plus tard, c’était le médecin de la fac qui me demandait de passer à son bureau. J’habitais à 20min de marche et, constamment essoufflée comme je l’étais, je n’avais pas envie de les faire pour entendre la nouvelle que je devinais déjà. Honnêtement je m’attendais à une grave infection pulmonaire, alors quand il a prononcé le mot lymphome, j’ai été assez déstabilisée. Je ne me souviens pas de grand chose de cette conversation, tout est flou, sauf ces mots précis “_ Wait, do you mean it’s a cancer ? _ Yes, it is a type of cancer…” J’ai été anéantie. Je sais qu’il a essayé de me rassurer, de me dire que ce genre de chose réagissait bien à la chimiothérapie et à la radiothérapie. Je me voyais être la gamine malade, clouée au lit, chauve, accrochée par des dizaines de fils à un arbre à perfusions, comme dans les films, entourée par sa famille qui pleurait à chaudes larmes.
C’est en raccrochant et en m’effondrant en larmes (ce qui arrivera régulièrement par la suite, elle est loin la moi qui ne pleurait jamais) dans le couloir de notre petit appartement, que mes colocs sortirent de leur chambre pour venir me voir. Je me souviens leur avoir hurlé que j’allais crever, qu’à 19ans j’avais un put*in de cancer et que j’allais crever. Et qu’en plus je devais dire à ma mère que sa petite fille allait crever. Finalement, c’est la seule chose qui m’a calmée. Je savais que je ne pouvais pas apprendre la nouvelle à mes parents dans cet état, que je devais les rassurer. Surtout parce que j’étais obligée de le faire par téléphone. Bizarrement mon corps s’est envoyé une sacrée dose d’adrénaline (qui me garda éveillée pendant 3 jours) pour inhiber tout le stress et la peur. Soudain je ne me posais plus aucune question quant à mon avenir. J’appelais ma mère et lui racontai sur un ton rassurant que j’étais malade, mais qu’il y avait aucun souci. C’était un cancer, oui, un lymphome apparemment, mais ma vie n’était pas en danger, les traitements étaient au point, elle n’avait pas à s’inquiéter. Je réitérai l’opération avec mon père (mes parents sont divorcés). Et finalement, mon propre ton rassurant, me rassura moi-même. Je repensai aux mots du médecin, et je compris que je partais en bataille, mais que rien n’était perdu. D’ailleurs, je ne me demandais même pas si j’allais perdre mes cheveux.
Le soir-même je reçus de nombreux appels de l’hôpital pour planifier rendez-vous sur rendez-vous. Bilingue et parfaitement calée en vocabulaire légal, je dois dire que j’avais de sacrées lacunes en vocabulaire médical… Je reconnaissais les mots “heamatology” et “biopsy”, mais ça s’arrêtait là. Pour la petite anecdote, je n’avais même pas compris le nom du Professeur en hémato-oncologie qui allait me recevoir… Enfin, c’est ainsi que le lendemain je me rendis à l’hôpital en compagnie de mes deux meilleures amies, et passais une prise de sang. Ensuite, je m’effondrai allègrement en larmes dans un couloir. Je ne savais pas exactement en quoi consistait une biopsie et ma phobie maladive des aiguilles ne me facilitait pas la tâche. Je venais d’épuiser ma réserve de courage pour la prise de sang… Mais après trois heures d’attente (je compris plus tard que j’avais été calée en urgence entre deux rendez-vous), on me fit entrer dans une petite pièce et allonger sur une table froide. Je passais la première échographie de ma vie au passage. Le docteur, indien, avait un fort accent qui m’empêchait de comprendre son charabia médical, mais il était décontracté et ça me rassurait. Je ne sentis presque pas la piqûre d’anesthésie locale et la biopsie en elle-même se passa assez bien. Ce n’est qu’en rentrant chez moi que je me rendis compte que je faisais une sévère allergie au produit désinfectant qu’ils avaient utilisé pour me badigeonner tout le décolleté… Et l’effet de l’anesthésie passé, ça commençait à faire franchement mal. “et c’est que le début”, pensais-je en pleurant, roulée en boule dans mon lit comme si une position foetale allait me protéger de quoi que ce soit.
Je rentrais en France d’urgence quelques jours plus tard et passais ma première consultation à l’hôpital St Louis. J’avais reçu un mail de mon hématologue anglais, qui confirmait le diagnostic d’un Hodgkin classique. Il m’avait dit avoir envoyé les échantillons de ma biopsie à St Louis, mais l’hématologue que je rencontrais là-bas ne les avait pas reçu et me prescrivit une nouvelle biopsie… L’annonce en elle-même me mit un sacré coup au moral, mais quand je sus qu’ils n’avaient pas de place pour me la faire avant 3 semaines, je plongeai dans une rage glaciale. Ils n’avaient même pas mis 24h à me la faire en Angleterre, et c’était un grand centre hospitalier comme ici, j’étais furieuse. J’avais l’impression qu’on me faisait perdre un temps précieux inutilement, et que personne n’en avait rien à foutre que je sois mourante. Miracle, finalement les échantillons de la biopsie arrivèrent à destination, et après une relecture, le diagnostic fut confirmé ici aussi. J’enchainais scanners et tep scan, verdict : stade IIB. Aujourd’hui, je ne sais toujours pas si le B tient pour une grosse masse médiastinale, la gravité des symptomes que je présentais, ou bien les deux. Jamais eu le courage poser la question pour être honnête…
Le 17 avril, je commençais la première séance de ma première cure d’ABVD. Le protocole qui avait été choisi était 4 cures + 3 semaines de radiothérapie. Cette première séance se passe globalement bien. Sans PAC à cause de la taille de mes ganglions (les sus-claviculaires mesuraient 6cm par exemple), je la reçu dans le bras gauche. Je portais le casque gelé pour protéger mes cheveux, que j’avais coupé en carré juste avant. Les effets secondaires qui s’ensuivirent furent ceux auxquels on s’attend : fatigues, nausées, douleurs au niveau des ganglions. Mais très très supportables.
C’est à la deuxième séance, celle-ci reçue dans le bras droit, que la chimio me frappa vraiment en plein visage. Des nausées terribles, vomissements malgré le zophren+emend+vogalène+plitican, fièvre, douleurs thoraciques, saignement de nez constant, un merveilleux cocktail qui me promettait de longs mois heureux pour la suite. Ce fut une de mes chimios les plus difficiles, surtout parce que je n’étais pas habituée à la dureté des effets secondaires. Curieusement, par la suite, on s’adapte. C’est la brutalité inattendue qui m’a chamboulée.
La veille de la troisième, après une fonte évidente de mes ganglions (les sus-claviculaires ayant complètement disparus), j’ai eu droit à l’anesthésie locale pour la pose du PAC. Très angoissée à l’idée de me retrouver avec un corps étranger à l’intérieur de moi pour une durée indéterminée, je dois avouer qu’hormis la douleur de la piqûre anesthésiante, l’opération se passa bien. Seulement voilà, les médecins décidèrent de piquer directement dedans pour la chimio du lendemain, et de me faire un gros pansement par-dessus pour tenir l’aiguille jusque là (ils n’ont apparemment pas le droit de piquer un cathéter le lendemain de la pose). Et donc je fus renvoyée chez moi comme ça, avec interdiction de toucher au pansement, de me laver, et de dormir sur le ventre. Les effets de l’anesthésie estompés, je sentais l’aiguille bouger à chaque respiration, provoquant une douleur atroce. Inutile de dire que je ne dormis pas du tout cette nuit-là de toute façon. A part ça, la troisième chimio se passa bien, et je rentrai même quelques jours à ma fac en Angleterre par la suite pour revoir mes amis et récupérer quelques affaires. Je fus d’ailleurs surprise, de voir qu’ils continuaient leur vie comme si de rien n’était, comme si je m’attendais au fond à ce que le monde s’arrête de tourner sous prétexte que j’ai un cancer. Et puis j’ai du faire face à leur manque de compréhension. Ils ont vraiment essayé d’être là pour moi, de me réconforter etc, mais ils ne comprenaient rien à rien et chacune de leurs paroles qui se voulaient réconfortantes me donnaient envie de leur coller la claque du millénaire. Exemple: “_ j’ai peur d’être stérile, on ne m’en a pas vraiment parlé à l’hôpital… _ Mais c’est rien, il y en a pleins des gens stériles, et puis adopter c’est pareil !” (oui, c’est pas l’adoption le problème, c’est que j’ai pas envie d’être obligée de penser à ça et me sentir au pied du mur à même pas 20ans en fait). Petit à petit, j’ai appris les limites de chacun de mes proches, savoir ce que je pouvais leur dire, ce qu’ils pouvaient appréhender, ou au contraire ce qui dépassait leur entendement. Et je m’y suis faite. On a tendance à s’énerver face à certaines petites remarques, mais finalement, le fait qu’ils aient encore la naïveté propre à leur âge, le fait qu’ils n’aient pas justement à comprendre ce qu’un cancer représente, au fond c’est bien tout ce que je leur souhaite. Et j’espère bien qu’ils n’auront jamais à comprendre.
A ce moment-là, on décida de modifier le protocole qui m’avait été choisi à la base. Apparemment, une radiothérapie serait trop dangereuse dans mon cas (et dans mon cas précis, ceci ne s’applique pas à une généralité, loin de là). L’un de mes ganglions cancéreux était trop proche du sein gauche, et du coeur. On craignait fortement un cancer du sein et des maladies cardio-vasculaires sur le long terme. On me proposa de supprimer la radiothérapie et de la remplacer par 2 cures supplémentaires d’ABVD dans le but d’obtenir la même consolidation. Moi qui craignais justement ce que j’avais pu lire sur la radiothérapie chez les femmes de moins de 25ans, j’étais ravie pour le long terme. Et je grinçai des dents à l’idée des 4 chimios en plus qui venaient s’ajouter à une liste déjà trop longue.
Le TEP scan d’après les 2 cures pour contrôler l’évolution de la maladie fut émotionnellement éprouvant. Je me refusais obstinément à afficher ne serait-ce qu’une ombre d’angoisse, mais au fond, le jour J venu (10 juin), j’étais intérieurement un magma de peurs et de doutes. L’heure passée à attendre l’injection du glucose, les 25 min dans le scanner que tu traverses millimètre par millimètre, l’attente des résultats, tout sembla durer une éternité. Les secondes étaient des siècles. J’ai manqué de m’évanouir quand au détour d’un couloir, un médecin que j’avais déjà croisé rapidement une fois auparavant, m’annonça qu’il n’y avait plus aucune trace d’activité cancéreuse. Une nouvelle merveilleuse accueillie avec beaucoup d’émotion, également pour ma mère, qui fut mon soutien le plus fidèle du début à la fin.
Suivie par ma 5ème chimio, qui sera de loin la pire. J’arrivai à l’hôpital, 8h tapantes, l’infirmière essaya de me poser la perfusion mais… Je sentis une piqûre atroce malgré l’emla, et elle annonça qu’elle avait raté la pose… Je serrrai les dents, elle réessaya, et rata encore… Je m’imaginais 1000 moyens de lui faire payer son incompétence lorsqu’elle alla chercher une collègue pour me piquer à sa place. Curieusement, sa collègue rata aussi. Elles retentèrent toutes les deux, rien à faire, “ça se heurte à quelque chose” dirent-elles, tout en me manipulant le PAC comme si c’était indolore. Ce florilège de piqûres et de manipulations me mirent les larmes aux yeux tant j’avais mal, et j’avais honte de pleurer à l’hôpital, en public. Ma mère pleura aussi. Ce fut la première et la dernière fois. On appela l’hémato, on me parla de “PAC retourné”, et je me trainais dans les couloirs, toujours pleurant comme une madeleine (surtout parce que je craignais une autre opération), pour aller passer une radio d’urgence, qui révéla qu’effectivement, ma petite boîte s’était retournée, et que c’était son fond en titane, qu’on me piquait depuis tout à l’heure, et contre laquelle l’aiguille ripait pour aller se loger ailleurs (vraiment, délicieux souvenir). Je rassure les rares lecteurs qui seraient arrivés jusqu’ici, c’est EXTRÊMEMENT rare, d’ailleurs ces infirmières (parfaitement compétentes au final, je le souligne) n’en avaient jamais rencontré de leur carrière. Mon capital veineux ayant été trop endommagé par les premières chimios que j’avais reçues dans les bras, on fit appel à une manipulatrice spécialisée dans les problèmes de cathé. Elle parvint à me le remettre en place sans que ce soit trop douloureux et la chimio pu commencer. On me dira d’ailleurs plus tard qu’il s’était sans doute retourné du à ma poitrine trop pulpeuse. Ah, maudite jusqu’au bout !
Les deux semaines qui suivirent, je fis la connaissance des termes “sévère neuropathie plantaire”. Un bête synonyme pour dire que je ne posai pas un pied par terre sauf absolue nécessité, et que même allongée, j’avais envie de m’amputer les pieds moi-même. Je passai mes nuits à regarder mes pieds, absolument normaux, sidérée qu’ils ne montrent aucun symptôme de quoi que ce soit, alors que mon cerveau m’envoyait clairement le message que quelqu’un était en train de m’éplucher la peau pour planter des aiguilles dans ma chair à vif. Les nausées furent violentes elles aussi, la fatigue aggravée, et supporter tout ça alors que je me savais en rémission complète était difficile. J’avais trop mal, c’était trop dur, je n’arrivais tout simplement plus à trouver une raison d’endurer ça. C’est également à ce moment qu’on diagnostiqua à ma grande soeur la maladie de Behcet. Ajouté aux deux décès de mes grands-parents paternels en l’espace de quelques mois seulement, le moral n’était pas là pour soutenir mon corps qui en avait pourtant besoin.
Mon cri de désespoir fut entendu par mon hémato à ma 6ème chimio. On me réduisit considérablement la vinblastine, ainsi que la dacarbazine, et aujourd’hui encore je n’ai jamais été aussi reconnaissante de quoi que ce soit dans ma vie que de ce geste. Je n’aurais jamais subi le reste avec les doses habituelles. Mon corps n’aurait pas tenu. Et ce n’était certainement pas mon moral qui lui aurait forcé à s’accrocher. Mais grâce à ces réductions, mes chimios suivantes se passèrent aussi bien que possible. Je commençais vraiment à m’habituer aux effets, et à leur brutalité, et je faisais avec, comme tout le monde ici, en me répétant que c’était temporaire. Passer la barre de la moitié pour pouvoir enfin compter en “plus que 5”, “plus que 4” etc, fut un réel plaisir dans cet océan de saloperie.
Je passai un scanner après la 8ème qui me chamboula énormément néanmoins. En effet, après être passée, en m’enlevant la perf de produit iodé, la manipulatrice me posa cette question fatidique: “vous toussez en ce moment ?”. Et la réponse était oui, je toussais sacrément même, mais ça n’inquiétait personne outre mesure. On me laissa patienter pour les résultats après cette question. Je m’imaginais avoir rechuté, là comme ça, en plein traitement. Ce n’était même plus être réfractaire, c’était avoir une me*de sacrément agressive. Je tremblais de tout mon corps quand on m’annonça que non, le lymphome n’était pas revenu, qu’il était d’ailleurs sacrément loin, mes ganglions ayant tous presque entièrement fondus, ne laissant que des amas nécrosés. Par contre mes poumons présentaient une condensation d’allure infectieuse. Un grand stress pour pas grand chose. Un moment comme tout malade en connaîtra tant d’autres.
A partir de la 8ème chimio, les effets secondaires s’aggravèrent considérablement, notamment parce que je n’arrivais plus à récupérer entre chaque séance. Et puis les kilos continuaient de s’ajouter depuis le début des traitements, transformant mon corps en une masse informe, livide, répugnante. Top pour le moral. Je m’étais également rasée la tête après la 6ème. Mon estime de moi chuta plus bas que jamais. Difficile de se trouver quoi que ce soit d’attirant, quand le surpoids s’installe à mesure que cheveux et cils s’envolent. Je savais que c’était la dernière ligne droite, mais l’idée que mon traitement aurait dû s’arrêter à la 8ème me faisait regretter amèrement la décision de changement de protocole. Enfin, je serrai les dents et encaissai. A-t-on jamais eu d’autre choix, finalement ?
C’est principalement à partir de la 10ème que les vraies crises de panique débutèrent. Avec l’apparition d’atroces douleurs osseuses, de démangeaisons, et d’une toux persistante que personne n’expliquait. La peur de la rechute me hantait toutes les nuits (cf. ma file “panique nocturne”), et puis je me trouvais pathétique d’avoir aussi peur. Je ne dormais déjà pas beaucoup avant, je perdis définitivement le sommeil. Epuisée, j’avais encore plus de mal à me remettre pour aborder les chimios dans de bonnes conditions. Je fêtai mes 20ans le 15 septembre et ce fut finalement la seule soirée de répit et de retour à la normale, loin de toute angoisse, que mon esprit s’octroya.
Mon calvaire prit fin le 19 septembre, jour de ma 12ème chimio, qui se fit sans bléomycine, estimée trop toxique pour mes poumons. Et oh mon dieu, quelle renaissance. Aucune douleur osseuse, les douleurs articulaires s’estompèrent un peu, les démangeaisons se calmèrent. Les nausées et la fatigue toujours présentes, mais ô combien ridicules comparées aux mois précédents. La séance que j’appréhendais le plus, puisque l’effet d’accumulation m’assommait davantage à chaque fois, fut finalement la meilleure et la plus supportable de toutes. Je n’ai jamais été aussi soulagée de toute ma vie. Je ne réalise pas encore que c’est terminé, je l’espère pour de bon, mais en tout cas je suis en forme, je me sens bien, je suis sereine. Je suis heureuse.
Au final, les trois choses qui furent le plus difficiles pour moi durant toute cette “aventure” (allez, utilisons un mot positif, car c’est ce que je voudrais que ce témoignage soit), furent premièrement le fait que je devais accepter que ma vie allait changer. C’était d’une criante injustice. Non pas que je doive faire face à la mort à 19ans, mais plutôt que même en me battant de toutes mes forces, même en endurant ce que tout le monde décrivait comme insupportable, je ne gagnerais jamais le droit de retrouver ma vie d’avant. De redevenir la personne que j’étais. On m’a volé mon insouciance, mon innocence naïve de croire que je serai toujours là d’ici un an. J’eu du mal à l’accepter, mais aujourd’hui c’est fait, et je suis toute pressée de commencer ma nouvelle vie, en sachant qu’elle sera différente, mais pas forcément moins bien que celle d’avant. En tout cas, ça ne tient qu’à moi d’en faire ce que je veux.
La deuxième chose que j’eu du mal à surmonter durant ces 6 mois, ce fut la culpabilité. Je sais bien que je n’ai pas demandé à avoir de lymphome, que je n’ai rien fait pour le déclencher, et que je ne suis pas à blâmer. Mais je n’y peux rien, c’est viscéral, quand je pense à toute la tristesse de mes proches, de ma famille, et de ma mère… Je suis submergée par une froide culpabilité étouffante. Je les ai fait pleurer, je leur ai fait vivre un enfer. C’est un sentiment qui s’estompe déjà, de lui-même, mais qui fut difficile à supporter. J’aurais juste voulu réussir à les épargner.
La troisième, que je suis toujours occupée à essayer de surmonter, c’est la peur de la rechute. Je ne crois pas aux statistiques, si ils disaient vrai, je n’aurais jamais du être malade de base. Quand j’ai peur néanmoins, j’essaye de me rassurer en me disant que le seul moment où on peut craindre la rechute, c’est quand on est en rémission. Et qu’être en rémission, ce n’est peut-être pas aussi bien qu’être en pleine santé comme tous les bien portants, mais c’est déjà beaucoup comparé à ceux qui sont toujours en guerre, toujours en traitement. J’ai de la chance, beaucoup de chance, et j’espère que ça durera, mais aujourd’hui c’est à moi de faire le maximum pour en profiter. La peur sera toujours là, mais mon envie de vivre, de découvrir, et d’apprécier chaque moment, sera plus forte.
Voilà, c’était un résumé pas trop résumé de l’histoire de mon lymphome, mais pas de l’histoire de ma vie (nuance ! Cancer is not my name!). J’espère que ce témoignage est perçu comme positif, car vraiment, au final malgré mes petites péripéties, je suis en forme et heureuse aujourd’hui. Ce cancer m’a forcée à arrêter de fumer bien plus tôt que prévu, et à chambouler un peu mes perspectives d’avenir. Il m’a forcée à ouvrir les yeux sur certaines personnes, et à me donner à fond concernant mes études. Il a fait d’être saine et en bonne santé, mon nouveau slogan. Il m’a fait mener une campagne de sensibilisation pour le don de moelle osseuse. Il m’a changée. Et moi, je lui ai fais un beau doigt d’honneur. Et s’il décide de revenir, ce sera un bras.
Je souhaite du fond du coeur à tous ceux qui sont en traitement aujourd’hui, de garder la force et le courage qui vous caractérisent si bien. Et de vous battre comme des enragés. Quant à ceux qui sont en rémission, qu’elle soit aussi longue que toute une vie. Merci de m’avoir lue.